Les réseaux sociaux ont cet avantage de vous laisser dans votre bulle de filtre. Je vois donc sur mon twitter, beaucoup de pro-nuke (nucléaire), de cyclistes en ville, mais aussi de gens qui plébiscitent le télétravail. Je serais à deux doigts de penser que nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle si certains articles n’arrivaient pas à crever ma bulle. Comme cet article de Les Echos Pourquoi le télétravail ne marchera pas en France.
Le monde ne se résume pas aux réseaux sociaux. Dans notre quotidien, nous avons de plus en plus de discours souhaitant un retour à la normale. De Bruno Lemaire qui souhaite que le télétravail reste l’exception Bruno Le Maire: “le télétravail reste souhaitable mais ce n’est pas la panacée” jusqu'à toutes ces entreprises qui invitent à reprendre le chemin des bureaux.
Mais alors, pourquoi une telle différence entre les partisans d’un nouveau monde en télétravail et de ceux qui souhaitent revenir à une vie normale ? Je ne suis pas le premier à tenter une réponse. Celle de Shirley m’a grandement intéressée. Je ne partage pas pleinement la conclusion et souhaiterait la nuancer.
[Thread] le télétravail, un sujet politique #teletravail
— Shirley Alm Ch (@ShirleyAlmCh) June 27, 2020
Pour résumer, grossièrement le thread (que je vous invite à lire en détail), j’en ressors quelques points importants :
- Le télétravail s’est révélé efficace. Quand c’est techniquement possible, les télétravailleurs ont permis à leurs entreprises de continuer leur activité. Sauf pour les fermetures administratives, les entreprises ont continué de fonctionner.
- Le télétravail est politique. Il rebat de nombreuses cartes : activités aux abord des bureaux, systèmes de management basés sur le présentiel, mise en avant de certains métiers indispensables sur le terrain. Sans compter la décentralisation et l’aménagement du territoire.
Je ne compte pas nuancer ces deux points. Je suis en accord total. Mais exposés ensemble, ils peuvent amener à une conclusion : ces changements ont un impact sur le pouvoir politique ou économique de certains qui ne souhaitent pas le perdre. Comment les investisseurs qui montent de nouvelles tours à la Défense pourraient apprécier le télétravail ? Cette peur de perdre du pouvoir expliquerait pourquoi les patrons veulent un retour rapide à la normale.
J’adore. Pas une semaine sans qu’un responsable — généralement très intéressé par la construction ou la vente de bureaux, ne vienne publier une tribune pour nous expliquer à quel point le télétravail, c’est vraiment, vraiment nul. https://t.co/IVuIdrSzm9
— Jean-Daniel Guyot (@jdguyot) June 5, 2020
Quand je lis ce type de raisonnement, cela m'évoque la manière dont on vous amène à croire aux théories du complot. Les grands de ce monde lutteraient contre le télétravail pour garder leur influence. David contre Goliath.
Il est sans conteste que le raisonnement est réel pour quelques investisseurs ou managers. Mais pour la plupart des dirigeants d’entreprises qui veulent un retour à la normale, il me semble que ce n’est pas aussi simple et que la véritable raison est ailleurs.
Le télétravail sur la durée
Avant la crise du COVID-19, quand on me demandait comment je faisais pour être en télétravail depuis 5 ans, j’expliquais que j’y avais trouvé un meilleur équilibre de vie qu’avec le présentiel :
- Travailler seul ne convient pas à tout le monde. Mon naturel est plutôt introverti : travailler seul physiquement ne me dérange pas, voir me rassure. Mais il faut avoir conscience que ce n’est pas le cas pour tout le monde. Et même moi, je remonte régulièrement dans les bureaux de mon entreprise, pour sociabiliser, faire avancer des sujets en direct, créer un lien de confiance lors de moments plus informel.
- Il y a quelques années, lorsque je me suis déplacé pour trouver un job intéressant, je me suis éloigné de celle qui accompagne ma vie. Passer en télétravail m’a permis de la rejoindre physiquement et de rentrer dans ma région d’origine. Ma vie sociale passe par mes amis, ma famille et s'équilibre ainsi. Bien mieux que lorsque je passais de nombreuses soirées seul dans mon appartement. C’est un point important : si je ne vois personne en lien avec mon travail, je suis cependant avec de nombreuses personnes au quotidien.
- J’ai un espace séparé dans mon habitation. C’est mon bureau pro, je n’y vais que pour travailler et toute la famille le sait. Cela me permet de ne pas être déranger par les sollicitations de la maison et de la famille, mais aussi de couper net quand l’heure est venue de clore mon travail.
Le télétravail imposé par le COVID-19 va à l’encontre de mes trois règles de base : imposé à tous, confiné, et sur-sollicité. Tous les ingrédients pour que le télétravail soit difficile à vivre pour beaucoup. Je tire mon chapeau aux célibataires dans leurs studios à Paris, ou les parents isolés devant garder leurs enfants ! Sans aucun doute, le télétravail va rester dans leur mémoire comme un mauvais souvenir lié au confinement et ils n’auront pas envie de recommencer. Je les comprends.
Et là, je te vois lecteur, en train de te demander quel est le lien avec notre complot des patrons. Ils n’ont pas tous des enfants !
Chef est un métier social
Les dirigeants d’entreprise doivent prendre de nombreuses décisions. C’est leur job. Ils doivent réunir toutes les informations nécessaires à la bonne prise de décision. Un bon dirigeant semble être celui qui sait s’entourer de nombreuses personnes afin de récolter les bonnes informations au bon moment.
En fait, chef, c’est un métier extrêmement social.
Les personnes qui accèdent à ce type de responsabilités ont besoin d’avoir une vie sociale bien remplie pour s'épanouir. C’est souvent même un trait de leur caractère. Il est possible de trouver des exceptions, mais la majorité ont besoin de ce lien. Clairement pas le type de poste qui matche bien avec le télétravail.
Ils sont donc nombreux ces dirigeants à avoir mal vécu le télétravail. Cela se remarque dans leur discours quand ils vous en parlent. Ils sont dans l'émotion.
Très récemment, j’ai entendu quelqu’un que je respecte beaucoup indiquer que pour lui, le télétravail n’est pas viable. Sa description du télétravailleur à temps plein était effrayante : quelqu’un sans vie sociale, les yeux rouges devant l'écran et ayant mal au dos et aux oreilles. C’est en l’entendant que je me suis rendu compte qu’il portait la représentation de sa propre expérience sur l’ensemble des télétravailleurs.
Explosons nos bulles de filtre avec de l’empathie
Selon moi, c’est l’expérience du télétravail forcé qui crée ce débat si tranché.
Certains ont aimés et veulent continuer. Ils ont découvert qu’ils peuvent être aussi efficace de chez eux et améliorer leur cadre de vie. Nombreux ont gouté à la vie en campagne tout en continuant leur travail (le jardin pendant le confinement).
D’autres cependant, mal préparés, ou simplement car cela ne leur correspond pas, ont passé des mois très difficiles. Et ce qui caractérise ces personnes qui ont besoin de lien social et ne sont pas à l’aise à la maison, est aussi une compétence clé des personnes en responsabilité.
Comment on avance ?
Si vous avez envie de passer au télétravail, discutez avec les personnes qui ne le souhaitent pas. Essayez de comprendre quels sont leur arguments et leurs craintes. Quand ils énoncent des faits, basez vous sur la littérature, et proposez de lancer de premiers tests, en fixant des objectifs précis. Si votre interlocuteur est dans l'émotionnel, prenez ses craintes et montrez lui qu’elles ne sont pas partagées par tous. Et surtout que le but n’est pas de lui imposer à lui.
Si vous êtes en position de dirigeant et que vous pouvez statuer sur la mise en place du télétravail parmi vos équipes, prenez le temps de comprendre pourquoi les gens souhaitent y passer. Quel sera leur nouvel équilibre et sera t’il sain pour eux ? Prenez du recul aussi sur vos propres arguments. Sont ils basés sur des faits, ou simplement résultant de vos craintes ?
Je crois profondément que pour avoir une équipe efficace sur le long terme, il faut que les individus qui la compose soient le plus heureux possible. Mais le bonheur ne se décrète pas et ce n’est pas un baby foot qui suffit à l’amener.
Chacun, nous avons des équilibres de vie différents. Par nos expériences, nos personnalités, nous n’avons pas les mêmes besoins. Ils peuvent même évoluer par le temps. Nous avons la chance, par le travail à la maison, de permettre à certains de trouver de nouveaux équilibres. C’est bien, et vive le remote ! Mais n’oublions pas que notre propre équilibre n’est pas forcément celui des autres.
Alors, un modèle unique de travail, très homogène (tous au bureau, voir tous en remote) n’est pas sain. La plus grande partie de votre équipe s’y retrouvera bien entendu. Mais pas toute l’ensemble. Et ceux qui ne seront pas à l’aise pourront avoir des comportement, des humeurs, ou une motivation plus faible qui impactera les autres.
C’est pour cette raison qu’il me semble que le monde va changer. Les modes de travail vont devenir hybride. On ne va pas passer de tout le monde au bureau sur un openspace à tout le monde en remote. Mais le plus efficace serait de mixer plusieurs manières de travailler, en fonction des individus.
Tout changement vient avec ses peurs. Et c’est pour cela que nous devons avoir des débats argumentés, factuels, mais surtout avec beaucoup d’empathie pour comprendre le positionnement de chacun.